Parfois je m’asseyais au sommet du cap de Tyneford et regardais les robustes moutons des coteaux brouter en contrebas, leurs clochettes tintant au vent. Des nuages bleus couraient dans le ciel, leurs ombres traînaient sur la colline tels de grands filets déployés.
[…] Mars apporta des tempêtes qui arrachèrent des tuiles au toit de l’écurie. Art fut obligé de grimper sur une échelle instable pour les reclouer. Avec l’arrivée du printemps, des perce-neige surgirent sous les haies, des crocus jaunes et mauves constellèrent la pelouse devant Tyneford House, s’ouvrant et se refermant au soleil tels les becs d’oisillons affamés. Les tulipes germèrent dans les pots en terre cuite de la terrasse et les primevères blondes s’épanouirent dans les plates-bandes donnant au sud. Les pêcheurs remontèrent sur leur bateau, heureux comme les foulques caquetantes que le temps plus clément avait ramenées. J’observais embarcations et oiseaux depuis le haut des falaises ou depuis mon perchoir sur le cap de Tyneford. Un après-midi, un mois environ après le départ de Poppy, je me prélassais dans mon endroit préféré, sur le promontoire, regardant avec les jumelles d’Art une buse aux pattes ébouriffées s’élever dans les airs, puis planer, les ailes palpitantes. Couchée sur le dos, je contemplais, émerveillée, le ventre noir du rapace, ses grandes ailes étendues, et perdis toute notion du temps.
Natasha Solomons (née en 1980), Le manoir de Tyneford – traduction de Lisa Rosenbaum

John Clayton Adams (1840 – 1906), The Primrose Gatherers