« Ne sois pas ridicule, fit Roger. Les Américains sont pareils que nous. »
Alors que son fils accueillait Sandy d’un baiser sur les lèvres et d’un bras passé autour de la taille, le major demeura bouche bée devant un tel reniement de distinction de caractère national entre la Grande-Bretagne et ce pays qui se piquait de gigantisme, de l’autre côté de l’Atlantique. Il voyait beaucoup de motifs à admirer l’Amérique, mais il estimait aussi que cette nation était encore en bas âge, sa naissance ayant précédé le règne de la reine Victoria d’à peu près soixante petites années. Généreuse à l’excès – il se souvenait encore des boîtes de chocolat en poudre et des crayons gras qu’on leur avait distribués dans leur école, plusieurs années après la guerre -, l’Amérique maniait son immense puissance dans le monde avec une confiance effrontée qui lui évoquait un jeune enfant ayant mis la main sur un marteau.
Il était prêt à admettre qu’il puisse être porté au préjugé, mais qu’était-on censé penser d’un pays où l’histoire était soit préservée dans des parcs à thèmes par des employés coiffés de charlottes et de jupes longues sur leurs baskets, soit démolie, démantibulée pour servir de bois de charpente ?
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– Où est votre famille ? » La question abrupte d’Abdul Wahid sortit le major de sa torpeur croissante.
« Nous sommes éparpillés un peu partout. Mon père vit en Floride, ma mère s’est installée dans le Rhode Island. J’ai un frère au Texas, et ma sœur est partie l’an dernier vivre à Chicago avec son mari.
– Et puis-je vous demander quelle est votre religion ?
– Mon Dieu, Sandy est une anglicane fervente, fit Roger sur un ton pincé. Raconte à mon père la fois où ta mère s’est fait prendre en photo avec l’archevêque de Canterbury.
– Oui, ma mère a fait le guet devant les toilettes des messieurs pour réussir à avoir sa photo avec l’archevêque. » Sandy leva les yeux en l’air. « Elle a dû penser, je crois, que cela compenserait pour le reste de la famille. Je crois qu’il y a maintenant parmi nous un bouddhiste, deux agnostiques, mais le reste est purement et simplement athée.
– Des anglicans non pratiquants, ajouta Roger.
– Le mot « athée » donne plutôt cette impression, Roger, remarqua son père.
– Roger n’apprécie pas trop de parler religion, n’est-ce pas ? » releva Sandy. Elle se mit à énumérer des sujets de conversation en comptant sur ses doigts : « Pas de religion, pas de politique, le sexe seulement à travers des allusions… pas étonnant que vous, les Britanniques, soyez obsédés par la météo, mon chéri. »
Helen Simonson, La Dernière Conquête du Major Pettigrew – traduction de Johan-Frédérik Hel-Guedj
William Formsby Halsall (1841-1919), The Mayflower on Her Arrival in Plymouth Harbor
merci pour ce texte (je vais finir par acheter le livre …) et ce beau tableau !
Tu me diras ce que tu en as pensé 😉
Comme Annick, je vais finir par acheter le livre. J’aime les rencontres culturelles, et le sujet du livre m’attire. C’est un très texte, beau tableau. Ce ciel est superbe !
Merci à toi.
Bon dimanche et grosses bises.
C’est un livre qui m’a fait sourire, le major a un humour très pince-sans-rire – et puis la représentation de valeurs un peu désuètes, de temps en temps ça fait du bien. J’espère qu’il te plaira ! Bonne semaine Edwige, je t’embrasse.
bon dimanche, et merci pour le rdv…bises ciel gris
Ah nous, le ciel gris c’est ce matin… bisous Patou, et bonne semaine !